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Les moyens d’existence et la consommation alimentaire des ménages pauvres continuent d’être limités considérablement par les impacts de la violence des gangs et l’insécurité sur l’économie, de l’inflation sur le pouvoir d’achat des ménages et de l’irrégularité spatio-temporelle des pluies sur la production agricole et l’élevage. Tous ces facteurs, exacerbée par les inondations du début du mois de juin, ont accentués le niveau d'insécurité alimentaire aiguë. Une intensification de l’adoption des stratégies d’urgence telles que la mendicité, la vente d’actifs productifs, le vol, entre autres, est toujours observée, notamment à Cité Soleil et le bas Nord-Ouest. Des résultats de Crise (Phase 3 de l’IPC) sont attendus à travers Haïti jusqu'en janvier, tandis que l'Urgence (Phase 4 de l’IPC) est évaluée à Cité Soleil, Port-au-Prince. Des poches de ménages très pauvres dans certaines zones rurales, y compris le Nord-Ouest, l'Ouest, la Grand'Anse, les Nippes et l'Artibonite, seront probablement aussi en situation d'Urgence (Phase 4 de l'IPC).
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L'insécurité touche toujours la capitale, Cité Soleil, l'Artibonite et le Nord-Ouest, et cette situation devrait perdurer dans un avenir prévisible. L'activité économique et les marchés continuent d'être limités par des incidents d'affrontements armés et l'imposition de droits de passage illégaux par des gangs armés sur les routes principales pour les transports publics. Cela restreint considérablement la circulation des personnes et des produits, réduisant les revenus et l'accès à la nourriture. Le mouvement populaire « Bwa Kalé », une initiative locale de justice populaire contre les gangs, a réduit le taux d'enlèvements dans toute la capitale, mais la situation sécuritaire reste tendue.
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Les prix des produits alimentaires de base demeurent élevés par rapport à la moyenne annuelle et quinquennale, en raison de la forte dépendance à l'égard des produits importés, de la faible valeur de la monnaie haïtienne (HTG), les difficultés d’approvisionnement et les coûts du transport élevé. Le taux d’inflation est resté supérieur à 40 pour cent depuis janvier. Bien que le HTG s’apprécie par rapport à le dollar américain (USD) d’environ 10 pour cent depuis mi-avril et de plus de 18 pour cent en moyenne d’une année sur l’autre (juin 2022/juin 2023), il est peu probable que cette tendance se maintienne. Les sources de réserves de change diminuent et le déficit commercial reste élevé. En conséquence, le pouvoir d’achat des ménages pauvres restera un faible, ce qui limite leur capacité à accéder à une alimentation suffisante.
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Les prix élevés d'intrants, le manque d'investissements publics, et la capacité limitée des agriculteurs à financer leurs activités ont réduit les surfaces cultivées. En outre, des inondations localisées en juin ont endommagé les cultures dans la phase de maturation, qui était déjà affectée par les conditions de sécheresse. Selon l'USDA, le maïs et le sorgho devraient connaître une baisse de 6 pour cent et 7 pour cent respectivement de la surface récoltée, avec une diminution de 2 pour cent et 8 pour cent de la production totale. La production printanière 2023 qui sera inférieure à la moyenne quinquennale.
Situation actuelle
L’insécurité : La situation sécuritaire reste toujours tendue, des affrontements continuant d’avoir lieu dans différents quartiers de la Capitale tels que Martissant, Fontamara, Pétion-Ville (Torcel, Pernier), Cité Soleil et, plus récemment, Carrefour (Bizoton, Diquini et Thor), ainsi que dans l’Artibonite et le Nord-Ouest. Cela a entraîné des perturbations de marchés et de flux commerciaux, une cherté accrue des produits de première nécessité. Selon ACLED, le nombre de décès s’est accru de 45 pour cent entre 26 mai 2022 et 26 mai 2023, passant de 115 à 167, Les actes de violence des gangs ont exacerbé le nombre de décès, en particulier à Cité Soleil, Croix-des-Bouquets, Martissant et Pétion-Ville. L’épicentre de l’insécurité demeure le département de l’Ouest, en particulier la capitale Port-au-Prince (Figure 1).
Figure 1
Source: Armed Conflict & Location Event Dataset
De surcroit, après l’accalmie enregistrée en avril et en mai, une reprise des activités des gangs est observée dans la capitale, à la fin du mois de juin et du début juillet, notamment en ce qui se rapporte au nombre de décès et des enlèvements suivis de séquestration. En effet, les données d’ACLED pour le mois de juin montrent une diminution des événements de violences (de plus de 14 pour cent) par rapport au mois précédent, certes, mais un accroissement atypique par rapport à juin 2022. En outre, le nombre de décès lié aux événements de violence en juin a augmenté de plus de 10 pour cent et de manière très atypique en glissement annuel. Les événements de violence et de décès restent atypiquement au-dessus de leur moyenne quinquennale.
En revanche, les enlèvements, suivis de séquestrations, ont significativement baissé en intensité. Selon CARDHI, il n’y a presque pas d’enlèvements entre le 24 avril et le 24 mai, ceci jusqu’au début du mois de juin. Comparativement à l’année dernière, presque à la même période, 225 cas ont été enregistrés durant le premier trimestre. Cette tendance a été le résultat du mouvement dénommé « Bwa Kalé dit BK ». Ce mouvement consiste en une forme d’auto-justice ou de justice populaire qui vise à neutraliser les membres de gangs, en recourant à des exécutions extrajudiciaires. Cependant, la situation sécuritaire demeure fragile, surtout avec la résurgence des cas d’enlèvement à travers la capitale depuis fin juin.
Conséquemment, l’activité économique, les marchés et le transport public peinent à fonctionner à leur rythme normal, impactant ainsi les sources de revenus et de nourritures. Ceci d’autant plus que le transport public de marchandises et de personnes reste soumis au paiement de droits de passage illégaux imposés par les gangs armés qui contrôlent presque tous les axes routiers et communications autorisées avec les différents départements du pays, en particulier les routes nationales reliant Port-au-Prince avec le nord (RN1) et le Sud (RN2) du pays affectant le flux des marchandises et l’approvisionnement des marchés dans les départements de l’Artibonite, du Nord-Ouest, des Nippes et du Sud.
Conditions pluviométriques : La sécheresse observée depuis novembre 2022, à l’échelle du pays, s’est poursuivie jusqu’à avril, particulièrement sévère dans la région nord du pays avec des précipitations nettement en dessous de la moyenne. Des pluies tardives fin avril ont permis aux cumuls d'atteindre un niveau moyen en mai. De plus, des averses diluviennes nettement au-dessus de la moyenne ont annoncé au début juin de la saison cyclonique 2023, provoquant des inondations dans presque tout le pays, à l’exception du Nord, du Nord-est et de l’Artibonite.
Typiquement, certaines régions comme le Haut Artibonite, le Centre, le Nord, le Nord-est et le Sud-est (hormis l’arrondissement de Belle-Anse) s’avèrent bénéfiques car favorisant le lancement des activités agricoles. Cependant, les conditions récentes ont provoqué néanmoins des dégâts matériels et humains énormes, particulièrement dans les départements de l’Ouest, du Nord-Ouest, de la Grand’Anse, du Sud et des Nippes, où des plantations de banane, de haricot et de maïs ont été détruites. Les cultures en phase de floraison et de fructification en février, mars ou avril dans le Sud, la Grand-Anse et les Nippes ont subi des dégâts dus aux pluies excessives, comme la pourriture des graines de haricot sur pied et des tiges de maïs anormalement longues. En conséquence, les cultures qui n'ont pas été détruites ont été récoltées tôt.
Néanmoins, dans les montagnes semi-humides du Sud, des Nippes, du Nord-Est, de l’Ouest et dans les zones non ou très peu touchées par les inondations, les activités agricoles, bien que très tardives, sont en cours. En raison des perturbations climatiques, selon les informateurs locaux, les agriculteurs ne tiennent pas compte des saisons ordinaires mais attendent dorénavant les pluies pour lancer les campagnes agricoles. Des activités de semis ont vite démarré à la suite des averses causées par les intempéries de la première semaine du mois de juin. Toutefois, les agriculteurs dans le Nord-Ouest et d’autres régions n’arrivent pas à en profiter pleinement en raison de manque d’intrants, en particulier de semences, qui y retarde davantage les activités agricoles.
Contexte macroéconomique : L'inflation globale annuelle reste très élevée mais continue de baisser modérément selon la dernière mise à jour du bulletin de prix par l'Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI). De 49.3 pour cent en janvier 2023, le taux d’inflation annuel est passée à 48.2 pour cent en mars, puis s’est maintenu autour de 47.9 et 46.4 pour cent, respectivement en avril et en mai. Le transport et l’alimentation restent toujours les principaux moteurs de l’inflation (Figure 2). Alors que l’inflation alimentaire reste autour d’une moyenne annuelle de 48 pour cent de janvier à mars, celle du transport est passé de 121 à 108 pour cent pendant la même période. Cette tendance baissière s’est maintenue en avril et en mai, bien que de manière modérée. Les taux d’inflation alimentaire et de transport ont diminué d’environ deux points de pourcentage entre avril et mai, se situant respectivement autour de 45.8 et 105.2 pour cent en glissement annuel. Cette baisse de l'inflation était due à une légère amélioration dans la disponibilité et la distribution des produits pétroliers et aussi de l’appréciation de la monnaie haïtienne par rapport au dollar américain.
Figure 2
Source: Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI)
Le carburant commence à être disponible dans les stations d’essence a des prix fixés par le gouvernement : la gazoline et le diesel à 570 et 670 gourdes/litre, respectivement. Toutefois, ce produit continue d’être vendu sur le marché noir, dans la plupart des régions du pays, ceci même à Port-au-Prince, étant plus disponible sur ce circuit. De plus, la nouvelle tarification (plus de 50 pour cent des tarifs antérieurs) de tous les circuits de transports publics par le gouvernement depuis novembre 2022, ainsi que les droits de passage que les conducteurs doivent payer aux gangs armés, continuent d’influencer le prix du transport public, et par ricochet celui des aliments de base. Cependant, la faiblesse dans la mise en œuvre ou dans l’application des mesures officielles prises dans le secteur de la commercialisation des produits pétroliers laisse encore de loin le pays avec les coûts alimentaires et de transport les plus élevés dans la région de l'Amérique centrale et des Caraïbes (Figure 3).
Figure 3
Source: FEWS NET et Institut Haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI)
Le taux de change officiel affiche une appréciation par rapport au dollar américain, entre avril et mai. En effet, il est passé de 152.62 gourdes pour un dollar en avril à 148 gourdes en mai, soit une appréciation de plus de 7 pour cent en moyenne (Figure 4). Jusqu’au 27 juin, le cours du dollar est tombé à 138.21 gourdes, montrant une appréciation de 18 pour cent en glissement annuel. Malgré le niveau actuel reste atypiquement au-dessus de la moyenne des cinq dernières années, cette tendance du taux de change fait baisser modérément le niveau de l’inflation en générale, en particulier les prix des produits importés comme l’huile comestible, la farine de blé, le riz.
Par ailleurs, les transferts de migrants, source importante de devises pour l’économie nationale, maintiennent leur tendance baissière observée depuis deux ans (Figure 5). Les transferts de migrants haïtiens au T1 2023 (240 millions) étaient inférieurs à ceux du T4 2022 (253 millions), selon la Banque Centrale de la République d’Haïti (BRH). En glissement annuel, les transferts privés nets ont chuté de plus de 9 pour cent entre mars 2022 et mars 2023. Parmi tant d’autres mesures, la réglementation de la BRH, imposée en septembre 2022, qui oblige les maisons de transferts à payer les bénéficiaires en monnaie nationale, a réduit la valeur des transferts de migrants vers Haïti. Cette réduction a entrainé une contraction des réserves de change, affectant ainsi le taux de change gourde/dollars, dans un contexte de déficit commercial chronique. Cela explique pourquoi l’appréciation actuelle de la gourde n’est pas soutenable sur le moyen et le long terme.
Les marchés et les prix : A l’exception des mangues et des produits maraichers, les marchés sont principalement approvisionnés par des produits alimentaires importés (riz, farine et pois sec, entre autres), malgré les perturbations de ses fonctionnements dues à l’insécurité. D’ailleurs, le contexte sécuritaire restant volatil, les marchés n'ont pas encore atteint leur niveau moyen d'approvisionnement, faute d'accès. Les gangs opèrent toujours dans les quartiers de la région métropolitaine, dans l’Artibonite, et le Nord-ouest (Bassin Bleu, et Gros Morne). Cela continue de perturber le fonctionnement des marchés urbains. Jusqu'à présent, il reste dangereux de faire des allers-retours par les routes nationales numéro 1 et numéro 2.
En mai, les prix des produits alimentaires locaux, principalement le maïs jaune, ont de nouveau augmenté de manière significative sur plusieurs marchés, tandis que les prix des haricots noirs secs locaux et du riz importé sont relativement stables comparativement aux mois précédents. Le prix de la farine de blé et de l'huile végétale, en particulier, maintient sa tendance baissière. La chute de prix des denrées, hormis le riz, sur le marché international et la légère appréciation du taux de change gourde/dollar depuis avril semblent jouer un rôle catalyseur a cette baisse. Malgré cela, les prix des produits alimentaires restent atypiquement au-dessus de l'année précédente (plus de 50 pour cent) et de la moyenne de cinq ans (dans des proportions supérieures à 100 pour cent). Le riz importé sur trois marchés : Port-au-Prince/Croix-des-Bossales, Cap-Haïtien et Jacmel illustre cette tendance entre janvier 2018 et mai 2023 (Figure 6).
Figure 6
Source: FEWS NET, juin 2023
Les principaux facteurs déterminants du niveau élevé des prix des produits alimentaires de base sont la faible disponibilité des produits locaux, la hausse du coût du transport, les frais de passage versés aux gangs, et l’insécurité perturbant les marchés, la circulation des personnes et des biens. Dans ce contexte, la baisse de prix de certains produits, au cours du mois d’avril et de mai, notamment les produits importés, n’améliore pas vraiment l’accès au marché.
Campagne agricole en cours : Hormis la région du grand Sud (en février et mars) et le Centre (en avril/mai), la campagne de printemps n’a pas eu lieu comme prévu dans le reste du pays. Particulièrement dans les zones sèches, les pluies ayant été tardives. Les activités de semis ont repris un peu partout, même dans les zones sèches où la campagne de printemps n'a pas vraiment initiée, en raison des précipitations proches de la normale et supérieures à la moyenne, bien distribuées en mai sur l'ensemble du pays. C’est le cas présentement des zones sèches comme le Haut Artibonite, le Nord (communes Bawon, Ranquitte, Pignon, la Victoire). En fait, cette période coïncide avec les premières récoltes de printemps, notamment pour le Grand Sud qui démarre habituellement cette saison plus tôt, comparativement au reste du pays. Ces récoltes n’ont pas eu lieu en juin, en raison des pluies en dessous de la moyenne au début de l’année. Il en résulte un chevauchement des saisons de printemps et d’été, qui rend difficile pour les agriculteurs d’évaluer une saison par rapport à une autre. Dès que les pluies commencent, ils se mettent à emblaver leurs terres. Cependant, le manque ou l’inaccessibilité (faible disponibilité et prix élevés) des intrants, en particulier des semences, reste une contrainte majeure à la pleine reprise des activités agricoles dans ces zones, particulièrement dans le bas Nord-Ouest.
Présentement, mise à part les mangues, dont les récoltes ont été initiées depuis avril, il n’y a que quelques récoltes précoces de produits locaux comme le maïs, le haricot, ou d’autres cultures saisonnières. De plus, dans la zone de production agricole, ayant initie la campagne de printemps en mars, 70 pour cent des plantations en plein cycle végétatif sont rudement touchées par la sécheresse jusqu’à avril, puis par les inondations résultant des pluies diluviennes du début de juin (Figure 7). Selon des estimations partielles de la Direction Générale de la Protection Civile (DGPC) du 6 juin, les inondations ont causé des pertes agricoles qui sont observées au niveau de sept départements dont Centre, Grand’Anse, Nippes (Miragoane, Paillant, Petite Rivière, et Anse-A-Veau), Nord-Ouest (Baie de Henne, Jean Rabel), Ouest (Fond-Verrettes, Leogane, Cité Soleil), Sud (Camperrin entre autres communes) et Sud-est (Belle-Anse notamment). Des cultures de printemps telles que le haricot et le maïs, entre autres, ont subi des pertes sévères.
Selon la DGPC, le département de l’Ouest en est sorti le plus touché par les conditions météorologiques irrégulières. En effet, 95 pour cent de la campagne agricole de printemps est perdue dans la commune de Fonds-Verrettes. C’est également le cas de la commune de Léogâne, où 80 pour cent des plantations de maïs et de pois sont détruites, tandis que 95 pour cent du système de curage s’avère inexistant. À Cité Soleil (dans la zone agricole de Sibert, Vaudreuil), 88 pour cent des plantations de bananeraies sont détruites. En revanche, les départements du Nord, du Nord-est et de l’Artibonite n’ont pas été ou sont très peu affectées par les dernières intempéries.
Si l'impact des mauvaises conditions météorologiques sur la production agricole a été minime dans l'Artibonite, l'insécurité a eu un impact significatif. Artibonite est la zone de production de riz la plus importante d'Haïti (plus de 85 pour cent de la production nationale de riz), et une réduction des superficies emblavées est observée. Cette réduction a de grandes conséquences sur la production et le revenu, donc sur la sécurité alimentaire des habitants de cette région. Selon une évaluation conduite par le Programme Alimentaire Mondiale (PAM), une diminution de près de 5 000 hectares de cultures de contre-saison a été observée dans la plaine rizicole de l’Artibonite en 2023, comparativement à 2018, conséquemment à la détérioration sécuritaire dans la zone depuis juillet 2022. Cela était du fait de la présence des groupes armés dans un « triangle » entre Carrefour Bois de Chaux, Liancourt et Petite Rivière-de-l’Artibonite. L’étude souligne, en outre, qu’une grande partie des champs situés dans ce triangle ont été abandonnés. Cette région productrice a subi de plein fouet la sécheresse mais n'a pas pu bénéficier des pluies favorables des dernières semaines. Bien que les pluies aient augmenté le débit des eaux dans les canaux d'irrigation, l'insécurité dans la région entrave sa capacité à le faire.
Situation du bétail : La situation des animaux a été fortement affectée par les intempéries du 2 et du 3 juin, ayant provoqué des pertes aussi au niveau de l’élevage. En effet, selon le même rapport de la DGPC, plus de 3790 têtes de bétail ont été emportées par des rivières en crue, dans le Sud-est (Grand gosier, 215), le Nord-Ouest (Baie de Henne, 870) et de l’Ouest (Cité soleil, 153), et de manière très significative à Léogane (2 500, représentant 87 % des pertes globales). La prévalence des maladies telles que le Teshen (affectant les porcins) et le New Castle (affectant les volailles) est toujours en cours notamment dans la Grand’Anse. Un nombre important de décès parmi ces espèces est observé dans les communes Corail, Anse-d'Hainaut, Dame-Marie et les Irois, entre autres, selon contacts clés sur le terrain. Cependant, il n'existe pas encore d'estimations officielles des décès des porcins et des volailles liées à ces maladies.
Sources de revenu : En milieu rural, les ménages pauvres dépendent principalement de la vente de main-d’œuvre, du bois, du charbon de bois et de la vente de produits de pêche et agricoles pour l’achat de nourriture. La campagne de printemps n’a pas eu lieu comme d’habitude dans la plupart des zones agroécologiques du pays, en raison de la sécheresse. En outre, à cause du manque de support du gouvernement et des partenaires internationaux, les agriculteurs ont préparé moins de terres pendant la saison de printemps par rapport à la moyenne. Ce qui fait que, la demande de main-d’œuvre agricole diminue considérablement par rapport à la moyenne. Certes, présentement, avec des précipitations au-dessus de la moyenne et bien distribuées depuis le mois de mai, une résurgence des activités agricoles est observée, notamment les opérations de semis.
Cependant, le retard du lancement de la campagne de printemps impacte la demande de travailleurs, laquelle reste en-dessous de la normale, outre les effets résiduels des chocs sociopolitiques et économiques qui réduisent la capacité d’investissement des agriculteurs. Parallèlement, selon les interviews avec les informateurs clés, conduite en Haïti par FEWS NET, sur les revenus hors ferme en avril et mai 2023, 41 personnes des 53 interrogées ont répondus que la disponibilité de main-d’œuvre agricole est en-dessous de la normale. Les revenus provenant de la vente de main-d’œuvre agricole (avant récoltes, avec les récoltes et pour la deuxième saison) sont donc en-dessous de la moyenne. Ceci, malgré une augmentation du prix du travail agricole, qui varie entre 400 et 750 gourdes par jour par rapport à l'année dernière, où le coût était compris entre 200 et 400 gourdes par jour (notamment pour les activités avant-récoltes, la campagne de printemps plus particulièrement).
La configuration n’est pas différente pour la main-d’œuvre travaillant dans la production et la vente de charbon. Cette activité représente une source importante de revenus, notamment pour les ménages pauvres et très pauvres. Elle est autour de la normale, bien que les ménages doivent intensifier leurs efforts pour accéder à la ressource en bois qui se raréfie progressivement, notamment dans la Grand’Anse, le Sud, le haut Artibonite et le bas Nord-Ouest. Le revenu nominal moyen provenant de cette activité se situe dans la fourchette 300 et 800 gourdes.
La pêche habituellement absorbe de la main-d’œuvre, même si ce n’est pas en grand nombre, dans des zones de pêche telles que la côte Sud (les Anglais, Port-a-Piment, Tiburon), le Nord-Est, les Nippes, la Grand’Anse, le Sud-Est et le bas Nord-Ouest. Actuellement, il y a un ralentissement important des activités qui entraîne une faible disponibilité des produits de pêche. Selon des informateurs clefs de l’étude sur les revenus hors ferme, les raisons majeures de cette diminution sont, d’une part l’insécurité et d’autre part, le secteur fait face à une carence d’équipements adéquats. Parmi les neuf personnes interrogées, cinq ont déclaré que la production diminue considérablement par rapport à la moyenne et les revenus aussi.
Les zones où l’agriculture est la principale source de revenu connaissent une baisse, poussant les ménages pauvres et très pauvres à se tourner vers des activités occasionnelles de subsistance et peu rémunératrices telles que la manutention dans la construction, le petit commerce et la petite entreprise, entre autres, ce qui ne leur garantit pas un revenu substantiel adéquat. Bien que plus de la moitié des répondants suggèrent que le niveau de revenu reste inférieur ou égal à la moyenne, ils estiment également que le volume d'emploi a diminué de manière significative par rapport à la normale. La situation est plus préoccupante pour le cas du petit commerce ou de la petite entreprise en milieu rural, car sept personnes sur 10 interrogées ont indiqué que les revenus obtenus sont inférieurs à la moyenne.
En milieu urbain, en particulier dans la capitale, les ménages pauvres qui tirent leurs revenus du petit commerce, du travail occasionnel (manutention, bagagistes, transporteurs non motorisés, et ramasseurs de déchets et de produits de recyclage, entre autres), ont un revenu en dessous de la moyenne en raison des incertitudes socio-politique et de la volatilité du contexte sécuritaire du pays en général. Le secteur textile, le plus grand pourvoyeur d’emplois formel privé en Haïti (plus de 53,000 emplois directs), a subi de plein fouet l’effet de la crise sécuritaire et de carburant, occasionnant l’annulation de 45 pour cent des commandes de leurs clients notamment américains depuis l’assassinat du président Jovenel Moise. Cela a de plus en plus réduit les activités de l’industrie dans le pays et supprimé près de 20,000 emplois. Beaucoup de familles pauvres, issues des quartiers précaires de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, en particulier Cité Soleil, Martissant et bas Delmas travaillent dans ce secteur.
La migration vers la République Dominicaine a été une source importante de revenus pour les ménages pauvres des zones frontalières, mais récemment, les niveaux de revenus issus de la migration ont été inférieurs à la moyenne. Des mesures de contrôle rigoureux des flux migratoires par les autorités dominicaines ont entraîné des déportations de plus en plus massives de citoyens haïtien, pour la plupart illégaux. Pour le seul mois de mai, un effectif de 19,000 citoyens haïtiens, composés aussi d’enfants en bas âge, ont été arrêtés puis déportés vers Haïti par les autorités dominicaines.
Assistance alimentaire : La crise socio-économique qui s’est accentuée au cours des deux dernières années creuse davantage le fossé de l’insécurité alimentaire dans le pays, suivi de fréquents mouvement de populations et de la détérioration des conditions nutritionnelles un peu partout. Cela renvoie à un accroissement des actions humanitaires dans les zones les plus vulnérables nécessitant des interventions urgentes. De plus, les dommages causés aux moyens d’existence de cette catégorie par les intempéries en début du mois de juin posent encore la nécessité de renforcement des actions déjà en cours. L’agence américaine d’aide au développement (USAID) figure parmi les plus grands donateurs de l’aide alimentaire en Haïti. Son assistance humanitaire couvre tout le pays, avec un financement global de plus de 56 millions de dollars américains pour toute l’année.
Par ailleurs, cette aide est surtout distribuée par des organisations travaillant dans le domaine de l’humanitaire. L’aide alimentaire d’urgence se présente sous deux formes : cash assistance (transferts monétaires et coupons alimentaires) ou en nature (distribution de ration ou de produits alimentaires aux bénéficiaires). Ainsi, selon les données du Cluster de Sécurité Alimentaire en Haïti, jusqu’au mois de mai, l’assistance humanitaire globale sous forme d’aide alimentaire et de cash/coupons alimentaires a atteint 723,900 personnes en 2023, ce qui, selon les estimations de FEWS NET, représente moins de la moitié de la population dans le besoin. Quatre départements contiennent 505,000 bénéficiaires (près de 70 pour cent des personnes bénéficiaires) : la Grand’Anse, le Nord, le Nord-Ouest et l’Ouest. Ce dernier concentre à lui seul plus de 32 pour cent des bénéficiaires (avec 234,000, dont Cité Soleil avec plus de 41 pour cent, suivie par la commune Cabaret avec plus de 23 pour cent).
Sur le front de l’assistance humanitaire d’urgence sous forme de cash transfert, plus de 105,000 personnes sont sur le point d’en bénéficier pour le mois de juin. Cette assistance est aussi concentrée dans quatre départements : Nord-ouest (Jean Rabel, Port-de-Paix), Sud (Camp-Perrin, Torbeck), Nippes (Paillant) et encore l’Ouest, avec Cité soleil comme commune la mieux représentée en termes de nombre de bénéficiaires (20,000 personnes, 19 pour cent des bénéficiaires). Le montant moyen mensuel est de 6008 gourdes par ménage pour l’ensemble de ces quatre départements. Une analyse en termes de couverture des besoins alimentaires montre que ce montant représente à peine 21 pour cent du coût du panier alimentaire calculé par la CNSA (27,850 gourdes en moyenne mensuelle) pour un ménage de 5 personnes. Le panier alimentaire est un instrument d’analyse utilisé par la CNSA pour évaluer l’accès aux aliments. Les produits composant ce panier apportent 1870 kilocalories/personne au lieu des kilocalories minimales standard requises (2100 kcal/personne). En termes de valeur nutritionnelle, le panier alimentaire complet coûte aux prix actuels 31,275 gourdes en moyenne mensuelle. Sur cette base, le montant des transferts monétaires en couvre à peine 19.2 pour cent et ne permet pas de satisfaire les besoins alimentaires des ménages très pauvres.
Propagation du cholera : Le choléra continue sa progression à travers le pays, depuis sa réintroduction l’année dernière. Jusqu’au 11 juin, les données du ministère de la Santé Publique et de la Population font état de 745 décès depuis 3 octobre 2022. De surcroit, 3 076 cas confirmés et 46 950 cas suspects ont été enregistrés. Une remontée est observée, à la suite des pluies diluviennes du 2 et 3 juin. Jusqu’ici, une plus forte concentration des cas est observée dans les zones urbaines du pays, notamment à Port-au-Prince. La recrudescence du choléra pourrait accroître la prévalence de malnutrition dans les zones affectées, et en même temps impacterait les revenus des ménages si un membre qui devrait travailler est malade. En outre, les personnes atteintes de l’insécurité alimentaire aigüe sont plus vulnérables de contracter des maladies.
Situation de la malnutrition : Le contexte socio-économique du pays au cours des trois dernières années a été marqué par l’inflation, l’insécurité, l’accroissement du chômage et des catastrophes naturelles (séisme, sécheresse et inondations), aggravant la situation alimentaire et nutritionnelle en Haïti. Outre d’actualiser les données nutritionnelles datant de 2020, le ministère de la santé publique (MSPP), avec ses partenaires UNICEF et Action Contre La Faim, a voulu aussi mesurer l’impact de ces différents chocs sur les populations vulnérables à la malnutrition. L’enquête SMART en janvier 2023, a montré une détérioration de la situation nutritionnelle des enfants par rapport aux cinq dernières années. En effet, la prévalence de la malnutrition aigüe globale (MAG) est plus de cinq pour cent à l’échelle nationale en 2023 (Figure 8) contre quatre pour cent en 2016/17 (voir EMMUS VI chapitre 11, section 1.3). Si les niveaux de malnutrition aiguë restent globalement dans les fourchettes d'Acceptabilité (MAG PTZ <5,0 %) et d'Alerte (MAG PTZ 5-9,9 %), cela dénote une détérioration du MAG dans des proportions de plus de 27 pour cent par rapport à son niveau de 2016/17. Malgré les réserves formulées par le Ministère sur la qualité des données collectées dans l’Ouest et l’aire métropolitaine de Port-au-Prince (l’accès y étant difficile en raison de l’insécurité), la situation reste alarmante dans ce département, avec un MAG de 7.5 pour cent. Elle est néanmoins préoccupante pour des régions comme le Nord-Ouest (5.1 pour cent) et l’Artibonite (5.0 pour cent), entre autres. En outre, il est probable que les niveaux de malnutrition aiguë se soient détériorés dans une certaine mesure depuis janvier, étant donné que de nombreux ménages ont connu des déficits de consommation alimentaire pendant plusieurs mois.
Figure 8
Source: MSPP, Résultats préliminaires de l’enquête SMART, 2023
Résultats actuels de la sécurité alimentaire
Malgré une légère baisse par rapport au trimestre précédent, les prix des denrées alimentaires de base restent très élevés et hors de portée de nombreux ménages en Haïti, qui voient également leurs revenus et leurs propres cultures diminuer. Il est de plus en plus difficile pour les ménages d'acheter leurs besoins minimaux en kilocalories. Cette situation est observée à travers tout le pays, notamment dans les zones ayant des déficits alimentaires élevés comme l’Aire métropolitaine de Port-au-Prince, Cité Soleil en particulier.
A Cité Soleil, la résurgence des affrontements armés perturbe les activités économiques dans la zone, affectant aussi le centre-ville de Port-au-Prince où se situe le marché de référence du pays, Croix-des-Bossales. En plus de l'insécurité, Cité Soleil fait également face au choléra et surtout aux nouveaux déplacements de population et autres impacts des récentes inondations dans toute la zone. L'accès aux revenus pour les ménages pauvres se détériore, ainsi que les moyens d’existence restant et la situation alimentaire et nutritionnelle des ménages. Les stratégies d'urgence telles que la mendicité, le placement des enfants en domesticité, la vente d’actifs productifs, la délinquance juvénile, ainsi que les stratégies de crise telles que le retrait des enfants à l’école pour faire face aux déficits alimentaires, continuent d'être utilisées. Ainsi, les ménages pauvres et très pauvres restent en insécurité alimentaire d'Urgence (Phase 4 de l'IPC). Dans les autres communes de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, les ménages pauvres continuent de mener leurs activités génératrices de revenus qui restent, malgré tout, en-dessous de la moyenne, et de recourir aux stratégies de crise, les plaçant en insécurité alimentaire de Crise (Phase 3 de l'IPC).
Pour le reste du pays, la disponibilité de nourriture et de revenus est rudement touchée par les inondations provoquées par les pluies diluviennes. C’est le cas des départements de l’Ouest (Leogane, Fond-Verretes, entre autres), du Grand Sud, en particulier les Cayes, les Nippes et surtout la Grand’Anse, récemment frappée en plus par un tremblement de terre. Des dégâts matériels et humains sont enregistrés, impactant les activités génératrices de revenus et les moyens d’existence des ménages de ces zones. Les cultures de printemps en cours sont presque détruites. La crise socio-politique qui perdure, l’insécurité civile et l’inflation, qui compromettent la stabilité économique à hauteur de 40 pour cent de réduction des activités du secteur de la sous-traitance, aggravent l’insécurité alimentaire à travers le pays.
Face à cette situation, une détérioration plus importante des niveaux d'insécurité alimentaire aiguë est constatée. Les ménages pauvres et très pauvres qui, habituellement, dépendent de la vente de leurs récoltes, augmentent l’autoconsommation de leur production afin de combler une partie des déficits liés à la baisse du pouvoir d’achat. Ceux qui vivent de la vente de main-d’œuvre agricole et de la pêche se tournent vers d’autres activités pour subvenir à leurs besoins, telles que des travaux non-agricoles ou vers des stratégies d'adaptation négatives, pour maintenir un niveau acceptable de consommation alimentaire. En conséquence, la plupart du pays reste en Crise (Phase 3 de l'IPC), avec un nombre croissant de personnes en situation de Crise alimentaire à la suite des dernières intempéries.
Suppositions
Le scénario le plus probable de la sécurité alimentaire de juin 2023 à janvier 2024 se base sur les suppositions fondamentales suivantes, par rapport à l’évolution du contexte national :
- Pluviométrie : Selon les prévisions des partenaires scientifiques de FEWS NET (NOAA, USGS et Climate Hazards Center), les conditions El Niño entraînera des précipitations inférieures à la moyenne au cours de la deuxième saison des pluies (d'août à octobre/novembre). Des températures supérieures à la moyenne sont également attendues. En outre, en juin, les prévisions indiquent que la saison cyclonique 2023, qui commence en juin, devrait avoir un nombre moyen d'événements.
- Production agricole : L'acquisition d'intrants tels que les semences, les engrais, les pesticides et le carburant à des prix supérieurs à la moyenne, ainsi que la capacité limitée des agriculteurs à financer leurs activités agricoles par eux-mêmes, ont contraint ces derniers à réduire leurs surfaces cultivées. L’USDA prévoit des baisses en glissement annuel de la surface récoltée pour le maïs (6 pour cent) et le sorgho (7 pour cent), avec une diminution de 2 pour cent et de 8 pour cent respectivement de la production totale récoltée par rapport à l’année dernière. Cette situation, couplée avec les mauvaises conditions climatiques, est d'autant plus préoccupante dans un contexte où très peu d'investissements publics sont alloués au secteur agricole. Par conséquent, la production printanière de 2023 sera inférieure à la moyenne quinquennale.
- En outre, étant donné que les agriculteurs auront moins de semences et de revenus de la récolte de printemps à utiliser pour les semis de la campagne d'été/automne, et compte tenu des prévisions de précipitations inférieures à la moyenne au cours de la deuxième saison des pluies, la récolte d'été/automne devrait également être inférieure à la normale. Des perspectives similaires sont attendues pour la campagne d'hiver en décembre.
- Situation sociopolitique : Des troubles sociaux d'origine politique sont probables tout au long de la période considérée, mais à des niveaux nettement inférieurs aux pics observés en 2018-2021. Cependant, l'impact économique de la montée des troubles sociaux continue de se faire sentir à travers la hausse des prix des produits alimentaires de base, le nombre d'entreprises privées qui se retirent du pays et l’aggravation de la situation du chômage dans le pays. Les problèmes persistants de disponibilité du carburant et les prix élevés qui y sont associés devraient continuer à déclencher des troubles civils. La dépréciation de la gourde haïtienne vis-à-vis du dollar américain est susceptible d'inciter le gouvernement à réduire davantage les subventions aux carburants, exacerbant les troubles et la disponibilité des transports.
- Une accalmie temporaire dans la violence attribuée aux gangs armés est probable, en raison des efforts d’auto-justice de la population à travers le mouvement « Bwa Kalé ». Cependant, il est peu probable que ce mouvement freine l'influence des gangs à long terme. Les niveaux de criminalité devraient revenir à des taux précédemment élevés jusqu'en janvier 2024, du moins à mesure que les membres de gangs se renforcent et reprennent leur emprise sur des zones spécifiques de la capitale. Ce sera également vrai pour la période approchant le 7 février, date à laquelle un nouveau président élu est censé être intronisé au pouvoir. Les enlèvements, ainsi que le nombre de victimes, sont susceptibles d'augmenter au cours de la période de projection, en raison de l'impact économique des sanctions sur les revenus des gangs et des difficultés auxquelles les communautés seront confrontées pour soutenir leurs efforts d'autodéfense.
- Le nombre d'incidents violents et de décès devrait rester proche du niveau de l'année dernière (juin 2022 à janvier 2023), en particulier dans les zones contestées par les gangs, telles que Bas Artibonite, Cité Soleil, Bel-Air, Martissant, Delmas, Croix-des -Bouquets, Pétion-Ville et environs, Cap-Haïtien et certaines villes de la région du Nord-Ouest.
- Perspectives macroéconomiques : Depuis avril, la gourde s’apprécie par rapport au dollar américain suite de mesures prises par la Banque Centrale Haïtienne pour pallier la pénurie de devises américaines sur le marché local et réduire les spéculations lors des transactions de change. Ainsi, cette appréciation ne sera pas soutenable et pourrait être inversée à tout moment en raison de l'insuffisance des recettes publiques et des réserves de change par rapport aux dépenses publiques et aux besoins d'importation. Une appréciation moyenne d’environ 38 pour cent en glissement annuel est possible et, par conséquent, une inflation générale d'au moins le même niveau que celui observé lors de la période précédente, soit dans une fourchette 40‑50 pour cent.
- L’inflation des produits alimentaires, en dépit de sa tendance baissière depuis avril, devrait rester au-dessus de la moyenne quinquennale, en raison de la tendance à long terme de dépréciation de la monnaie nationale et de la faible disponibilité des produits locaux.
- Selon les prévisions de la Banque mondiale, une contraction de l’ordre de 1.1 pour cent du PIB d’Haïti est attendue en 2023, une tendance qui s’est installée depuis 2018.
- Sources de revenu : La faible performance des récoltes de printemps, d'été et d'automne, ainsi que les impacts résiduels des chocs climatiques, sociopolitiques et économiques auront un impact négatif sur la capacité financière des agriculteurs à financer leurs activités agricoles de manière normale. Cela entraînera une réduction de l’offre de la main-d’œuvre de la part des ménages aisés. Par conséquent, les revenus des travailleurs agricoles seront inférieurs à la moyenne.
- Le revenu provenant de la vente de produits agricoles de printemps serait en-dessous de la moyenne à cause de la baisse de la production, des perturbations au niveau de la chaine de distribution liée à l’insécurité, et de prix de production plus élevés par rapport au revenu, qui ne seront pas compensés par l'effet positif des prix de production plus élevés.
- La tendance à la baisse des transferts de migrants haïtiens observée en 2022 se poursuivrait en 2023 à cause de l’insécurité qui pousse de nombreux bénéficiaires à quitter le pays et à rejoindre la diaspora à l'étranger. De plus, le revenu de la migration restera en dessous de la moyenne en raison des opportunités d’emploi de plus en plus réduites pour des Haïtiens, notamment en République Dominicaine.
- La vente de charbon pourrait générer des revenus inférieurs à la moyenne quinquennale pendant la période envisagée en raison des perturbations récurrentes causées par l'insécurité. Ces perturbations compromettent l'approvisionnement et le fonctionnement régulier des marchés.
- Des emplois continueront d’être perdus dans le secteur textile, avec la fermeture d’un grand nombre d’industries de cette filière et l’arrêt des commandes, en raison du contexte sécuritaire actuel délétère.
- Le revenu du petit commerce informel dans les rues, notamment dans les zones contrôlées par des gangs, serait en dessous de la moyenne, de juin à septembre 2023.
- Entre octobre 2023 et janvier 2024, l'anticipation des festivités de fin d'année est susceptible d'améliorer la situation sécuritaire et de favoriser une résurgence d’activités économiques génératrices de revenus informelles.
- Les prix et les marchés : L’approvisionnement des marchés, en particulier ceux de la capitale, devrait rester perturbé à cause des coupures liées aux troubles socio-politiques pour la période et au contrôle exercé par les gangs armés dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince. Ces perturbations limiteraient la circulation des marchandises et des individus dans d’autres villes de provinces, notamment au niveau du Grand Sud, du Grand Nord et du Centre.
- La circulation limitée affecterait la demande et l’offre, notamment de juin à septembre vue que les particuliers doivent se rendre aux marchés pour s’acheter des biens alimentaires. Entre octobre et janvier, la demande pourrait revenir à son niveau normal, au cours de la saison des fêtes de Noel et de fin d’année.
- Les prix des produits alimentaires de base importés devraient rester supérieurs aux prix de 2022 et même supérieurs à la moyenne quinquennale. Ces prix atypiquement élevés sont dus à la tendance à la hausse observée sur le marché international, à la dépréciation du taux de change et aux difficultés d’approvisionnement des marchés locaux et régionaux à cause de l’insécurité et du cout élevé des transports publics.
- Les prix des produits alimentaires locaux devraient suivre habituellement leur tendance saisonnière. Toutefois, compte tenu des coûts de transports élevés, et la baisse de production, ils resteront aussi au-dessus de leur niveau de l’année dernière et de leur moyenne quinquennale.
- Les prix des semences et des engrais devraient rester nettement supérieurs à la moyenne, tant que la crise en Ukraine se poursuit, entraînant une contraction de l’offre et donc une hausse des prix sur les marchés internationaux.
- Les pénuries de carburant, causées principalement par l’insécurité et la capacité limitée d’importation, due au manque de devises et à la faible capacité de stockage, devraient se poursuivre, entraînant des prix élevés du carburant sur le marché informel et conséquemment des prix élevés des denrées alimentaires.
- Assistance humanitaire : Selon le Cluster de la sécurité alimentaire et du groupe de travail sur les transferts monétaires, l’assistance alimentaire prévue pour 2023 comprendra deux volets : i) distributions de nourritures en nature ou de coupons alimentaires et ii) distributions de cash transferts. Environ 2.4 millions de personnes sont ciblées pour bénéficier d’une quelconque assistance d’urgence cette année. Les planifications mensuelles sur le nombre de bénéficiaires portent à croire que tous les départements bénéficieront d’une forme quelconque d’assistance. Mais la priorité sera accordée aux départements de l’Ouest, au niveau des communes de Cité Soleil, de Cabaret, de Port-au-Prince (3ème circonscription) aux prises à la violence armée, le Nord-Ouest (Port-de-Paix, Jean Rabel), l’Artibonite, ainsi que les régions récemment touchées par les inondations en début de juin. FEWS NET ne dispose pas d’information assez précises quant à la taille des rations alimentaires qui seront distribuées. Toutefois le cash distribué ne permettra pas aux ménages bénéficiaires de couvrir pas plus que 20 pour cent de leurs besoins alimentaires, en référence au coût du panier alimentaire national.
Résultats les plus probables de la sécurité alimentaire
La période de juin à septembre coïncide avec les récoltes de printemps et aussi avec le lancement de la campagne d'été/automne. Cela devrait générer des revenus provenant des ventes de récoltes pour les agriculteurs et indirectement pour les travailleurs agricoles. Une plus grande disponibilité de produits locaux comme le haricot, le maïs, le riz et des produits de cueillette (la banane, l'arbre véritable et la mangue) devrait contribuer à améliorer temporairement la disponibilité et l’accessibilité alimentaires des ménages les plus pauvres. Cependant, mise à part la mangue et quelques cueillettes (arbre véritable, racines et tubercules), la faible performance anticipée de la campagne de printemps, combinée aux impacts des intempéries du début du mois de juin, compromet de tels résultats.
Ainsi, les résultats de Crise (Phase 3 de l'IPC) devraient rester généralisées sur les sources d'alimentation et de revenus des ménages dans les zones rurales d'Haïti. Ce sera aussi vrai pour la majeure partie de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, à cause d'effet de la violence des gangs, d'une inflation élevée et des chocs climatiques et socio-politiques touchant tout le pays (l’Ouest, notamment les communes Léogane, Fond-Verrettes notamment). La zone la plus préoccupante reste la commune de Cité de Soleil de l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince (Ouest), la plus touchée par la violence des gangs et par des déficits alimentaires et de protection de moyens d’existence où une situation d'Urgence (Phase 4 de l'IPC) est attendue. Les besoins d'assistance alimentaire devraient être les plus importants à la suite des intempéries, qui ont aggravé les conditions de sécurité alimentaire déjà précaires en y augmentant la prévalence du choléra.
La période d’octobre à janvier coïncide avec les récoltes d’été-automne (maïs, pois, racines et tubercules, entre autres) en novembre dans les montagnes humides, et, aussi avec le lancement de la campagne d’hiver dans les plaines irriguées et les montagnes semi-humides. De plus, c’est la période de fin d’année qui charrie ordinairement des activités génératrices de revenus non agricoles telles que le travail occasionnel, le petit commerce, la vente de charbon en milieu urbain, à côte des transferts monétaires généralement croissants de l’étranger. Les revenus de la main-d’œuvre et de la vente de produits agricoles saisonniers resteront néanmoins en-dessous de la moyenne, en raison des chocs économiques, socio-politiques et climatiques subis. L'augmentation du coût des intrants et l'insécurité empêchant les agriculteurs de vendre leurs denrées les laisseront avec une capacité insuffisante pour emblaver normalement des terres, embaucher des travailleurs agricoles ou acheter des intrants. Dans le même temps, le pouvoir d’achat du revenu total provenant des activités non agricoles, même dans le contexte des festivités de fin d’année, seront inférieurs à la normale compte tenu du contexte d’inflation généralisé, surtout alimentaire et de transport public, qui caractérise l’économie haïtienne.
Par conséquent, les ménages pauvres n’auront pas le pouvoir d’achat pour accéder leurs besoins minimaux en kilocalorie, réduisant encore davantage la quantité de kilocalories absorbée par les pauvres et très pauvres. Une insécurité alimentaire de Crise (Phase 3 de l’IPC) sera généralement observée à travers le pays. Au niveau de l’Aire Métropolitaine de Port-au-Prince, notamment dans les zones contrôlées par les gangs, comme Cité Soleil, les perturbations de l'activité économique et le niveau généralement élevé des prix des denrées alimentaires de base se traduiront par des écarts de consommation alimentaire prolongés chez les ménages pauvres et très pauvres. Un nombre croissant de ménages pourra liquider leurs biens productifs et s’engager dans des stratégies d’adaptation négatives d’urgence, comme précédemment, dans le contexte de la prolifération du choléra et des niveaux de la malnutrition aigüe quelque peu atypiques. Cité Soleil connaitra encore une situation d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) au cours de la période considérée.
Évènements qui pourraient changer les scenarios
Zone | Evénement | Impact sur les résultats de la sécurité alimentaire |
---|---|---|
Nationale | Apaisement de l'insécurité et de la violence des gangs | La diminution de la violence aurait un impact positif sur le fonctionnement de l’économie et des marchés, ce qui entraînerait une reprise rapide des activités formelles et informelles. Cela améliorerait la disponibilité et de l’accès alimentaires, réduisant le nombre de ménages adoptant des stratégies négatives. En conséquence, un nombre moindre de zones et de ménages pourraient être en Crise (Phase 3 de l’IPC) ou en Urgence (Phase 4 de l’IPC). A Cité Soleil, une amélioration de la situation serait donc probable, passant d’une phase d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) à une phase de Crise (Phase 3 de l’IPC). |
Une distribution normale du carburant et sa vente au prix normal à travers le pays | Toutes entreprises et institutions, y compris des hôpitaux, reprendront leur horaire normal de travail. Une baisse du coût du transport contribuera à réduire l’inflation. Ainsi, moins de zones seraient en insécurité alimentaire de Crise (Phase 3 de l’IPC) ou d’Urgence (Phase 4 de l’IPC). | |
Zones de production | Une amélioration des conditions pluviométriques | Une augmentation et une distribution plus ou moins normale des pluies affectera positivement les cultures saisonnières et entraînerait une augmentation des fourrages et de l’eau disponible pour le bétail. Une bonne performance de la campagne agricole d’automne 2023 sera attendue. Cela entraînera également des conséquences positives sur les moyens d’existence des ménages les plus pauvres et, par conséquent, diminuera le nombre de personnes en situation de Crise (Phase 3 de l’IPC) et d’Urgence (Phase 4 de l’IPC). |
Situation actuelle
Contexte sécuritaire : L’insécurité s’intensifie à travers la capitale haïtienne. L’actuel mouvement, dénommé « Bwa Kalé », visant à démanteler les gangs, constitue une réponse radicale de la population à cette insécurité. Cela engendre un accroissement des actes de violence dans les quartiers pauvres de la capitale. De surcroit, les gangs rivaux de Cité Soleil ont mis fin à leur trêve, les affrontements ayant repris.
Par ailleurs, selon OIM, jusqu’en mars 2023, le cumul des déplacés a atteint plus de 173,000 personnes, dont près de 46,000 sont retournées à leur domicile. Malgré la résurgence des affrontements armés à Cité Soleil, on n’a pas enregistré des flux importants de personnes déplacés internes (PDI), comme ce fut le cas l’année dernière. Sur plus de 9000 PDI en avril 2023 dans le département de l’Ouest, 1604, soit 18 pour cent des déplacés, sont de Cité Soleil. Les nouveaux PDI observés dans cette zone sont plutôt dus aux intempéries ayant frappé la région métropolitaine, du 2 au 3 juin 2023. Selon l’OIM, 1166 familles (5009 personnes) se sont déplacées et se sont hébergées dans un centre quelconque. Parmi eux, 755 familles (3270 personnes), soit plus de 65 pour cent, sont originaires de cette commune.
Marchés et prix : La situation sécuritaire dans l’environnement du marché de la Croix-des-Bossales s’est détériorée depuis avril, avec la reprise des affrontements armés à Cité Soleil. Le conflit récurrent est centré sur le contrôle de ce marché économiquement lucratif qui s'étend à toute l’aire métropolitaine. La reprise des affrontements compromet le flux de produits et de l'argent, impactant négativement l’offre et la demande tant de produits locaux qu’importés.
Le prix des produits locaux, le haricot noir et le maïs en grain, a été respectivement de 570 et de 1040 gourdes la marmite de six livres au cours du mois de mai. En glissement annuel et par rapport à la moyenne de cinq ans, le prix de ces deux produits s’est montré très atypique, ayant fluctué à la hausse dans des proportions proches de 100 pour cent, en raison de la période de soudure.
La marmite de six livres du riz importé a vendue au prix moyen de 725 gourdes en décembre, a chuté de plus de 12 et de 6 pour cent, respectivement en janvier et février 2023, passant à 640 et 600 gourdes. Une tendance qui se maintient jusqu'en mars, suivie par une relative stabilité en avril et en mai, à la suite de l’appréciation du taux de change. Par rapport à la moyenne de cinq ans, le prix du riz maintient son comportement très atypique, augmentant de plus de 100 pour cent.
Sources de revenu : La montée de l’insécurité et des affrontements armés à Cité Soleil, Martissant, et Pétion-Ville impacte les activités informelles génératrices de revenus des très pauvres comme la vente ambulante de produits alimentaires, ainsi que le petit commerce au bas de la ville. De plus, la valeur réelle des revenus diminue considérablement en raison de l’inflation alimentaire, se situant autour de 48.1 pour cent en mars. Ceci est d’autant plus crucial que le marché reste la principale source de nourritures de toutes les couches de la population. Le pouvoir d’achat a diminué de 48.3 pour cent, contre 53 pour cent en février. L’accès économique reste significativement détérioré, les revenus globalement générés étant en-dessous de la moyenne.
Assistance humanitaire : Selon le Cluster sur la Sécurité Alimentaire en Haïti, 64,420 personnes ont reçu une assistance entre janvier et mars 2023, dont 97 pour cent sont des aides alimentaires d’urgence. En mai, cette commune absorbe plus de 41 pour cent des bénéficiaires (plus de 95,000 personnes) de l’aide alimentaire fournie au département de l’Ouest. En outre, sur 105,000 bénéficiaires susceptibles de recevoir du cash assistance en juin (bons d’achat, coupons alimentaires), 20,000 sont résidants de cette commune. Cependant, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire (environ 22 pour cent de la population de la commune) n’a pas atteint le seuil minimal souhaite, à savoir 25 pour cent de la population de la zone en question.
Concernant les transferts monétaires alloués aux ménages pauvres de la zone, cela se fait sur une base bimensuelle, où en moyenne un ménage ciblé reçoit environ 13,200 gourdes, soit 6603 gourdes par mois dépendamment. Une analyse en termes de couverture des besoins alimentaires montre que ce montant représente à peine 24 pour cent du coût du panier alimentaire calculé par la CNSA (27,850 gourdes en moyenne mensuelle). En outre, les produits composant ce panier (1870 kilocalories) ne représentent pas la quantité de kilocalories minimales requises (2100 kcal). Le montant actuel des transferts monétaires couvre à peine 21 pour cent du panier alimentaire de 2100 kilocalories.
Situation nutritionnelle : Selon l’enquête SMART, conduite par le ministère de la santé publique et de la population (MSPP), la prévalence de la malnutrition aigüe globale (MAG-PTZ, le score z du rapport poids-pour-taille) dans la région métropolitaine de Port-au-Prince est de 4.8 pour cent, qui indique une malnutrition Acceptable (Phase1 de l’IPC AMN). Cependant, l’impact de la violence armée, de la détérioration des conditions de sécurité alimentaire et de la flambée du cholera sur la situation alimentaire dans les zones qui en sont touchées pourraient indiquer une malnutrition plus sévère que les résultats de l’enquête SMART. D’ailleurs, le MSPP a émis des réserves sur la qualité de ces données recueillies dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, notamment dans la commune de Cité Soleil, compte tenu de l’extrême difficulté d’accès due à l’insécurité lors de l’enquête SMART en janvier 2023. Les résultats de l’UNICEF montrent que cette violence a contribué à la multiplication du nombre d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère.
Suppositions
En plus des suppositions au niveau national, les suppositions suivantes s'appliquent à cette zone de préoccupation :
- Les produits alimentaires seront malgré tout disponibles, bien que l’approvisionnement des marchés puisse être perturbé sporadiquement.
- Le revenu tiré du travail occasionnel sera toujours en-dessous de la normal, impacté par la violence des gangs.
- Selon le cluster de sécurité alimentaire, les ménages pauvres et très pauvres continueront à bénéficier de l’assistance alimentaire d’urgence.
- Les prix des aliments de base, en particulier celui du riz qui devra fluctuer dans la fourchette de 600 à 900 gourdes par marmite (Figure 10), resteront au-dessus de ceux de l’année dernière et de la moyenne quinquennale en raison de la dépréciation de la gourde par rapport au dollar et la hausse du coût du transport urbain.
Figure 10
Source: FEWS NET/CNSA
Résultats les plus probables de la sécurité alimentaire
Au cours la période de juin à septembre, la consommation alimentaire sera toujours axée essentiellement sur les achats aux marchés. Il n’y aura aucun changement dans la diète alimentaire des pauvres et très pauvres, le coût du panier alimentaire étant toujours élevé. Les ménages continueront d'avoir un accès très difficile aux sources habituelles de revenus, et donc à la nourriture, en raison de la forte inflation alimentaire, de la dépréciation de la gourde et des conditions de vie précaires caractérisées par une prévalence croissante de la malnutrition aiguë et du choléra. Ils ne pourront toujours pas subvenir à leurs besoins alimentaires de base sans recourir à des stratégies adaptatives ou bénéficier de l’aide alimentaire d’urgence en complément. Car les plus pauvres devront encore faire face à des déficits alimentaires résultant de leur manque de revenus, ils seront contraints de compter sur la consommation de nourritures à faible valeur nutritionnelle, la mendicité, l'entraide, l'envoi des enfants manger ailleurs ou la vente d'articles personnels productifs. L'adoption de ces stratégies négatives d'urgence les maintiendra dans l'insécurité alimentaire d'Urgence (Phase 4 de l'IPC).
Les ménages pauvres et très pauvres pourront accéder à des revenus proches de la moyenne d'octobre à janvier compte tenu du dynamisme économique généralisé et de la trêve prise par les gangs pendant la saison des fêtes. Néanmoins, la baisse du pouvoir d’achat des revenus aura encore un impact significatif sur la quantité et la qualité de leur consommation alimentaire, vue l’augmentation des prix de base résultant de l’accroissement de la demande globale de biens et services. Les déficits alimentaires à l’échelle des ménages pourront diminuer modérément, mais l’aide alimentaire sera toutefois nécessaire pour combler les déficits alimentaires de certains ménages de la zone, notamment les familles ayant des membres souffrant de la malnutrition, comme les enfants, les femmes enceintes et allaitantes, les handicapés, les orphelins ou les individus vivant dans les rues. Ces ménages continueront d’adopter des stratégies d’urgence pour maintenir le niveau normal de leur consommation. Ainsi, une insécurité alimentaire d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) sera encore observée.
Situation actuelle
Progrès saisonnier : La campagne agricole de printemps 2023 a connu un retard dans son démarrage en raison de la sécheresse prolongée de novembre jusqu'à mi-avril. Des pluies normales, intervenues de mi-avril à fin mai, ont permis à certains agriculteurs de semer du maïs et des haricots, notamment ceux qui avaient les moyens d'acheter les semences à un prix très élevé, bien au-dessus de la normale. Cependant, les averses de pluie (315 mm à Baie de Henne et 128 mm à Bombardopolis) le 3 juin, ont causé d'importants dégâts aux cultures en place (tassement et lessivage), aux animaux (disparition et décès) ainsi qu'aux infrastructures hydro-agricoles, entre autres.
Bien que toutes les communes de la zone aient été durement touchées par ces averses, la situation dans la commune de Baie de Henne est catastrophique. La zone irriguée de cette commune, qui représente une superficie réduite de moins d’un pour cent de la superficie totale de la commune (soit 160 hectares selon le Bureau Agricole Communal), a été détruite à plus de 90 pour cent par les averses du 3 juin, selon le bureau agricole communal de la circonscription Baie de Henne/Bombardopolis. Les premières évaluations indiquent la disparition ou le décès d'environ 900 têtes de bétail, ainsi que des pertes en vies humaines (entre 4 et 5 personnes) dans la commune de Baie de Henne. Les récoltes prévues en juin dans la zone Nord-Ouest (HT01) sont estimées globalement à moins de 50 pour cent par rapport à une année normale en raison des dégâts par les intempéries.
Disponibilité alimentaire : Les aliments des ménages très pauvres proviennent principalement, par ordre décroissant, du marché, de leur propre culture et des dons. Cependant, le marché est principalement approvisionné en produits importés, mais ces produits sont peu accessibles aux très pauvres en raison de leurs prix élevés. En raison des importants dégâts, les récoltes provenant de leur propre culture sont nettement inférieures à la moyenne. Bien que la mangue soit disponible en quantité suffisante, les dommages causés par les intempéries entraîneront une fin de récolte prématurée. De plus, les dons destinés aux très pauvres sont également en dessous de la moyenne, car la capacité des ménages moyens et aisés à offrir leur aide a été affectée par la crise globale du pays et de cette région en particulier.
Évolution des prix : Les commerçants en gros de la zone se procurent principalement des produits en provenance des États-Unis, de la République dominicaine, de Port-au-Prince, de Port-de-Paix, des Gonaïves et du Cap-Haïtien. Cependant, les très pauvres s'approvisionnent dans les marchés communaux de la zone où les prix sont généralement plus élevés que ceux pratiqués sur les marchés de Port-au-Prince, Port-de-Paix, Gonaïves et Cap-Haïtien, en raison des frais de transaction et des marges bénéficiaires des commerçants. Le niveau d'approvisionnement est inférieur à la moyenne quinquennale, en raison de la baisse de la production agricole locale ainsi que des impacts des intempéries et de l'insécurité sur l'approvisionnement des marchés, notamment en produits importés. L'appréciation de la monnaie nationale par rapport au dollar américain et au peso dominicain ait entraîné une légère baisse des prix de certains produits tels que la farine et l'huile. Néanmoins, les prix restent élevés et supérieurs à la moyenne quinquennale en raison de l'insécurité qui oblige les commerçants à emprunter des itinéraires plus longs, ce qui augmente les coûts de transport et, par conséquent, les prix de revient, toutes choses étant égales par ailleurs). Ainsi, les produits restent peu accessibles aux très pauvres qui disposent déjà d'un maigre revenu.
Sources de revenu : Les principales sources de revenu des ménages très pauvres en Haïti sont toutes irrégulières, telles que la vente de journées de travail agricole, de pêche et de fabrication de charbon de bois, ainsi que la vente de produits agricoles et le petit commerce informel. L'insécurité routière, l'inflation, les conditions climatiques irrégulières et le manque d'investissement dans ces secteurs ont entraîné une diminution des opportunités d'emploi et des revenus inférieurs à la moyenne. La pêche a été particulièrement affectée par la baisse de la demande et par les intempéries du 2 et 3 juin, avec la perte de matériels de pêche. De plus, les pêcheurs font face à des difficultés telles que le vandalisme des pêcheurs bahamiens, l'absence de réfrigération pour conserver les prises et l'insécurité sur les routes qui limite l'approvisionnement des marchés. Les prises de pêche ont diminué d'environ 40 pour cent par rapport à l’année d’établissement de la ligne de base (2013/2014), sans compensation proportionnelle des prix. La production de charbon a également diminué d'au moins 20 pour cent en raison de l'insécurité, mais le prix n'a pas suivi l'inflation des produits alimentaires de base.
Les cultures en place ont subi des pertes considérables estimées à plus de 50 pour cent en moyenne, dans un contexte où la campagne agricole de printemps 2022 avait déjà connu des pertes allant jusqu'à 95 pour cent pour le maïs et plus de 50 pour cent pour le pois congo (Cajanus cajan), en raison de l’irrégularité spatio-temporelle des pluies, entre autres. La diminution du revenu des acheteurs potentiels a réduit la demande de petit commerce, tandis que la mendicité, bien qu'une source de revenu mineure, a augmenté pour combler les déficits actuels de consommation alimentaire.
Suppositions
En plus des suppositions au niveau national, les suppositions suivantes s'appliquent à cette zone de préoccupation:
- L’insécurité au niveau du réseau routier menant dans la zone se maintiendra pendant toute la période du scenario, car les causes profondes de la crise sociopolitique et de la multiplication des gangs armés n’ayant pas été adressées.
- Le revenu tiré du travail occasionnel dans le charbon devrait être en dessous de la moyenne quinquennale à cause d’une baisse de la demande de charbon qui serait due à l’insécurité sur les réseaux routiers (ralentissement du flux de transport de charbon par les camions, entre Port-au-Prince et Port-de-Paix) et qui limiterait l’offre de travail.
- Le revenu provenant du travail occasionnel dans la pêche serait en dessous de la moyenne quinquennale en raison de la baisse de la vente due à l’insécurité routière. Malgré l’intensification des efforts de pêche visant à maintenir à peine le niveau de prise stable, cela empêchera les pêcheurs de vendre leurs produits sur le marché des Gonaïves. Ils seront donc contraints de les vendre à Anse-Rouge ou sur d’autres marchés locaux à prix relativement plus bas, leur donnant un retour sur investissement inférieur à la normale. L’offre de travail diminuera en conséquence dans le secteur de la pêche, toute comme le revenu des travailleurs.
- Le revenu du petit commerce sera en dessous de la normale pendant toute la période du scénario en raison de la diminution de la demande due à la baisse du pouvoir d’achat à cause de l’inflation.
- La disponibilité alimentaire de produits locaux et importés sera en dessous de la moyenne en raison de l’insécurité qui perturbe la chaine d’approvisionnement, mais aussi en raison de la baisse des récoltes.
- Le prix du pois noir à Port-de-Paix augmentera entre juin et août, puis baissera modérément jusqu'en janvier. La campagne de haricot d'été/automne pourrait être compromise en raison de la sécheresse qui a déjà affecté la campagne de printemps.
- Le prix de la marmite de six livres de haricot noir variera entre 1200 et 1700 gourdes, nettement plus élevé que l'année précédente et la moyenne des cinq dernières années (Figure 12).
Figure 12
Source: FEWS NET/CNSA
Résultats les plus probables de la sécurité alimentaire
Toutes les sources de revenus et de nourriture sont inférieures à la moyenne, tandis que les prix des principaux produits alimentaires de base sont supérieurs à la moyenne. Les ménages très pauvres représentent plus de 50 pour cent de la population totale de la zone, vivent dans des endroits reculés et inaccessibles, et par conséquent, bénéficient peu ou pas de l'assistance alimentaire. Ils dépendent du marché à plus de 80 pour cent pour leur consommation. Les résultats d'une évaluation rapide de la sécurité alimentaire menée par FEWS NET en mai 2023 ont révélé des régimes alimentaires très inadéquats et des déficits de consommation alimentaire importants pour ces ménages, correspondant à une insécurité alimentaire aigüe Crise (Phase 3 de l’IPC) avec des ménages en Urgence (Phase 4 de l’IPC).
Les données nutritionnelles par le MSPP en janvier 2023 comparées à leur données publiées trois ans plus tôt ont montré une augmentation du taux de MAG de 3,9 pour cent à 5,1 pour cent (avec un taux de 5,4 pour cent au Môle Saint-Nicolas, 5,7 pour cent à Bombardopolis et de 5,7 pour cent à Jean Rabel). Bien que le taux de MAG ne se soit détérioré qu'au seuil d’Alerte (5-9.9 pour cent), correspondant à une insécurité alimentaire aigüe Stress (Phase 2 de l’IPC), il représente tout de même une augmentation de plus de 40 pour cent sur cette période. Les niveaux de malnutrition aiguë se sont probablement détériorés depuis janvier. Les informateurs clés décrivent actuellement une situation nutritionnelle critique, avec des signes visibles de malnutrition chez les très pauvres et leurs enfants, tels que l'amaigrissement et le jaunissement des cheveux.
Depuis janvier, la situation nutritionnelle s'est encore détériorée en raison de la perte des plantations de printemps, amplifiée par la suite par les averses du début juin, affectant fortement Baie-de-Henne et Bombardopolis. La nutrition et la sécurité alimentaire ainsi que les moyens d’existence devraient se détériorer tout au long de la période de projection en raison des précipitations irrégulières, de l'insécurité routière, de la production locale inférieure à la moyenne, de la dépendance accrue aux aliments importés et de l'inflation générale et alimentaire. Le taux de Malnutrition Aigüe Sévère (MAS) risque de dépasser le seuil d’urgence de 2 pour cent déterminé par l'OMS, notamment dans les communes de Jean Rabel, Bombardopolis et Môle Saint Nicolas.
Les ménages très pauvres continueront d'adopter majoritairement les stratégies actuelles de crise et d'urgence pour combler une partie de leur déficit de consommation alimentaire. Les principales stratégies d’Urgence comprennent la mendicité, le vol, la délinquance juvénile, la vente d'actifs agricoles tels que la terre et des outils agricoles, ainsi que la vente de leurs derniers animaux de reproduction. Les principales stratégies de Crise comprennent l'augmentation du temps de pêche, le retrait des enfants de l’école, la sollicitation de l'aide alimentaire auprès des voisins, des familles ou des amis, la consommation d'aliments inhabituels (mangues bouillies, mangues séchées, espèces de poissons non habituellement consommées). Les stratégies d'urgence seront adoptées par de nombreux ménages très pauvres, qui représentent plus de 50 pour cent de la population totale de la zone Nord-Ouest-HT01.
Cependant, malgré le déficit global de consommation alimentaire observé, les taux de malnutrition infantile ne sont pas significativement impactés ce qui suggère qu'il existe peut-être d'autres moyens pour les ménages de faire face à la situation ou que le nombre de personnes en Urgence (Phase 4 de l’IPC) reste inférieur au seuil de 20 pour cent. Si l'on fait converger les données relatives à la consommation alimentaire, aux moyens de subsistance et à la malnutrition aiguë, la situation est de plus en plus grave, avec des résultats de Crise (Phase 3 de l'IPC) et certains ménages en situation d'Urgence (Phase 4 de l'IPC).
Citation recommandée : FEWS NET. Haïti Perspectives sur la sécurité alimentaire juin 2023 à janvier 2024 : les inondations du début de juin provoquent des dégâts importants aux cultures, 2023.
Afin d’estimer les résultats de la sécurité alimentaire pour les prochains six mois, FEWS NET développe les suppositions de base concernant les événements possible, leurs effets, et les réponses probables des divers acteurs. FEWS NET fait ses analyses basées sur ces suppositions dans le contexte des conditions actuelles et les moyens d’existence locaux pour développer des scénarios estimant les résultats de la sécurité alimentaire. D’habitude, FEWS NET prévient du scénario le plus probable. Pour en savoir plus, cliquez ici.